C’est son avis « Refonder l’imaginaire de la viande »
Nathalie Damery, diplômée en philosophie et en sciences politiques, a cofondé en 2011 l’Observatoire société et consommation (ObsoCo). Elle s’intéresse notamment aux évolutions de consommation et a rédigé, en 2018, une étude intitulée Désirs de viande.
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« Nous assistons à un écho médiatique complètement disproportionné au regard du nombre d’individus ayant opté pour le régime “sans viande”. Leur part – seulement 0,4 % de la population – apparaît inversement proportionnelle à leur capacité d’influence.
Une déconnexion du monde agricole
Les Trente Glorieuses ont été marquées par un pic de consommation de viande. À partir des années 1980, cette demande a chuté, en lien avec un changement profond du rapport à l’alimentation. Cette période se traduit par la démocratisation du travail des femmes, en parallèle du développement de l’industrie agroalimentaire et de la restauration hors foyer. Aujourd’hui, la viande est valorisée autrement. Sous forme de sandwichs et de plats cuisinés, elle devient de plus en plus dissimulée. On constate également une perte du lien avec le monde agricole. La population n’a plus conscience des réalités de terrain et adhère à une vision très romantique de la campagne.
Un nouveau rapport à l’alimentation
Les Français sont de plus en plus défiants à l’égard de ceux qui les nourrissent. D’après nos chiffres (1), 58 % des personnes considèrent que la nourriture peut être potentiellement dangereuse pour la santé. La méfiance à l’égard de l’alimentation de masse, considérée comme modifiée et artificielle, s’est installée. Dans le même temps, l’attention portée à l’origine géographique et aux modes de production s’accroît. Mais ce mouvement généralisé est à repositionner dans une perspective beaucoup plus vaste de méfiance vis-à-vis de toute production industrielle, et ce, depuis la fin du XIXe siècle. À présent, c’est le sujet alimentaire qui polarise cette méfiance.
Des profils variés de consommateurs
Pour l’heure, quatre modèles de rapport à l’éthique dans l’alimentation se distinguent : les adeptes du modèle alimentaire standard (62 %), attachés au “manger sain” ; les opportunistes (7 %), partisans des régimes “sans” ; les radicaux (11 %), qui associent l’alimentation à une discipline de réalisation et d’expression de soi par la contestation radicale de la logique industrielle et de la condition animale ; et enfin, les sensibilisés (20 %). La mauvaise conscience alimentaire pousse ces derniers à se tourner vers la responsabilité sociale et environnementale des produits achetés et consommés. C’est cette catégorie que les “radicaux” tentent de toucher par leurs idéaux.
Stratégie « pluri-actions »
56 % des Français aspirent à consommer mieux. La qualité s’interprète de mille et une façons, selon eux, mais le goût, la notion de traçabilité et la composition de l’aliment sont des critères majeurs dans leur perception du produit. Pour refonder l’imaginaire de la viande, il faut jouer sur la carte du “moins mais mieux”. Il est nécessaire de rassurer de façon crédible sur la qualité des procédés d’élevage et d’abattage, sur l’innocuité et la nutrition et, bien entendu, sur la certification et la labellisation de nos produits.
Propos recueillis par Lucie Pouchard
(1) Observatoire des éthiques dans l’alimentaire, publié par l’ObsoCo en 2018.
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